L’univers musical haïtien est en deuil. Dadou Pasquet est décédé ce dimanche 23 novembre 2025, laissant Haïti et sa diaspora sous le choc. Guitariste d’exception et figure majeure du compas, il comptait parmi les musiciens les plus respectés de sa génération.
Pour des milliers de mélomanes en Haïti, dans la diaspora et à travers la Caraïbe, son nom ne renvoie pas seulement à des chansons. Il évoque aussi des soirées de danse, de longues tournées et une manière unique de faire parler la guitare.
Une enfance baignée dans la musique
Né à Port-au-Prince en 1953, Dadou Pasquet grandit dans un environnement où la musique est omniprésente. Très jeune, il s’initie à la guitare, fasciné par les sonorités qui en sortent. Peu à peu, ce qui n’était qu’un jeu d’adolescent se transforme en véritable vocation.
Au fil des répétitions et des petites scènes, son talent saute aux yeux – ou plutôt aux oreilles. Très vite, les grandes figures du milieu musical haïtien le remarquent. C’est ainsi qu’il entame une carrière professionnelle alors que beaucoup de jeunes de son âge en sont encore aux répétitions entre amis.
Des débuts remarqués avec Tabou Combo
Le premier grand tournant de sa vie d’artiste survient lorsqu’il rejoint Tabou Combo, groupe déjà incontournable dans le paysage du compas. En intégrant cette formation de référence, Dadou n’obtient pas seulement un poste de guitariste : il entre dans une véritable école de rigueur, de groove et de scène.
Sur les scènes d’Haïti et de la diaspora, son jeu attire rapidement l’attention. Sa manière de placer des lignes mélodiques, de soutenir la rythmique sans la surcharger, lui vaut très tôt le respect de ses pairs. Au sein de Tabou Combo, il contribue aussi à façonner un son plus moderne, pensé pour voyager bien au-delà des frontières haïtiennes.
Magnum Band : le « konpa original »
Quelques années plus tard, en 1976, un nouveau chapitre s’ouvre. Installé à Miami, Dadou Pasquet fonde avec son frère Claude « Tico » Pasquet le groupe Magnum Band. Ce projet marque la naissance de ce qui deviendra une véritable institution : un orchestre respecté pour sa musicalité, son sérieux et sa constance.
Très rapidement, le public et les médias lui attribuent un surnom qui restera : « le konpa original ». Le groupe sillonne alors les scènes d’Amérique du Nord, d’Europe et de la Caraïbe. Ses performances marquent les esprits, notamment lors de grands événements, et plusieurs titres deviennent des classiques pour différentes générations de fans.
Au sein de Magnum Band, Dadou trouve un espace de liberté totale. Il y impose son identité musicale, raffine ses arrangements et enrichit le compas de teintes jazz, funk et R&B. Malgré ces influences, il ne perd jamais la base rythmique qui fait danser et qui reste le cœur du genre.
Un style de guitare devenu une référence
Pour ceux qui l’ont vu sur scène, Dadou Pasquet demeure l’image d’un guitariste d’une grande finesse. Son jeu est à la fois précis, technique et profondément émotionnel. Plutôt que de chercher l’effet spectaculaire, il privilégie la note juste : chaque phrase musicale a un sens, chaque solo ressemble à une histoire.
Dans les ballades, la guitare se fait douce, presque murmurée, comme une voix qui confie un secret. Dans les morceaux plus rapides, son jeu devient plus incisif, sans perdre sa maîtrise. Ainsi, Dadou réussit à « parler » avec son instrument, sans jamais écraser les autres musiciens ni alourdir le morceau.
Avec le temps, son approche crée presque une école. De nombreux jeunes guitaristes haïtiens apprennent en décortiquant ses riffs, ses modulations et ses enchaînements d’accords. Son influence dépasse largement un seul groupe ou une seule époque et continue de nourrir le son de nombreux orchestres.
Une carrière saluée de son vivant
Au fil des années, la stature de Dadou Pasquet ne cesse de grandir. En plus de Magnum Band, il multiplie les projets, les albums et les collaborations. Plusieurs critiques, journalistes et médias spécialisés le présentent comme l’un des artisans du son haïtien moderne.
Des enregistrements du groupe aux performances live, en passant par des projets plus personnels, il prouve qu’un artiste peut rester fidèle à ses racines tout en explorant de nouveaux territoires sonores. Son nom circule ainsi comme référence, non seulement dans le milieu du compas, mais aussi dans la musique caribéenne en général.
Une santé fragile, puis la nouvelle que personne ne voulait entendre
Ces dernières années, Dadou Pasquet se faisait plus discret sur scène. Sa famille avait laissé entendre qu’il traversait une épreuve de santé difficile, tout en appelant au respect de son intimité. En coulisses, musiciens et fans gardaient malgré tout l’espoir d’un retour, même symbolique, ne serait-ce qu’un concert hommage en sa présence.
L’annonce de son décès, le 23 novembre 2025, a donc eu l’effet d’un choc, y compris chez ceux qui savaient qu’il était affaibli. Sur les réseaux sociaux, les hommages se multiplient. Collègues musiciens, producteurs, animateurs et simples fans saluent à la fois l’artiste talentueux et l’homme discret, abordable, loin de l’image parfois distante que l’on associe aux légendes.
Un héritage qui ne s’éteindra pas
Avec la disparition de Dadou Pasquet, Haïti perd l’un de ses grands architectes sonores. Pourtant, un musicien de cette trempe ne disparaît jamais complètement. Il reste dans les disques que l’on remet sur la platine, dans les playlists que l’on partage et dans les vidéos de concerts que l’on ressort des archives.
Ses solos continuent d’inspirer les jeunes guitaristes. Ses arrangements restent analysés, repris, réinventés. Ses chansons accompagnent encore les fêtes de famille, les soirées entre amis et les moments de nostalgie.
Pour beaucoup, la meilleure façon de lui rendre hommage est simple : réécouter les morceaux de Magnum Band, faire découvrir son œuvre aux plus jeunes et rappeler qu’avant les algorithmes et les tendances, il y avait des musiciens comme Dadou Pasquet, qui ont bâti patiemment le son haïtien d’aujourd’hui.
En s’éteignant, il rejoint le panthéon des grandes figures de la musique haïtienne. Sa guitare, elle, continue de résonner.
